S'exiler pour mieux régner [Suke]

Cela faisait déjà plusieurs jours qu’il chevauchait à la tête de ses quelques aigles d’or qu’il commençait à bien connaître depuis le temps qu’il guerroyait à leur côté pour tenter de ramener la paix de l’Empereur dans les villages rebelles. Plusieurs jours sans parler, sans oser protester contre les paroles de l’Empereur. Enfermé dans son mutisme depuis leur départ, Katsu voyageait en tête de colonne à une allure affolante. Finalement, quitter la cité impériale n’était peut-être pas une si mauvaise chose. Mais malheureusement, il laissait encore derrière lui, sa sœur et sa mère…

Ils traversèrent ainsi la province de Tomokuro sous une pluie battante, annonçant l’hiver qui ne tarderait plus. Là-bas, il ne s’arrêta à peine pour saluer le chef du clan Ujihashi. Il n’avait aucune envie de festoyer, aucune envie de rire, de boire ou de parler de la magnificence de Kyang. Il s’arrêta seulement pour ne pas manquer au protocole et ne pas froisser le chef des Ujihashi qui, il le savait très bien, avaient autrefois combattu aux côté de Kiyozawa. Après les salutations forcées, il s’en était donc allé avec ses hommes et avait repris sa route vers les portes chaudes. Néanmoins, il savait parfaitement qu’une halte avant d’y prendre place serait nécessaire et cette fois-ci, c’était parce qu’il le souhaitait.

En apercevant les longues étendues de terres où il vit les chevaux galoper en liberté, il sut qu’il était arrivé à destination. Sawaki, terre de chevaux et terre qui avait fait verser son sang abondamment pour son père et sa famille. C’était le clan Yasushima qui y régnait depuis tant de temps déjà. Il savait que ces terres n’étaient pas encore gangrénées par la rébellion. Enfin, c’est ce qu’il pensait et qu’il ne tarderait pas à demander à leur chef.

Sans s’être annoncé au préalable, seule une courte missive avait été envoyé au chef des Yasushima. La petite colonne de cavaliers vêtues de leurs armures dorés et noirs rentrèrent dans un silence presque inquiétant. Seuls les bruits des chevaux résonnaient dans toute la cité étendue de Sawaki. Quelques habitants de petites maisons dans les rues principales sortirent par curiosité afin de voir les hommes qui s’avançaient à bonne allure. Des passants évacuèrent rapidement quelques charrettes et caisses entreposées en plein milieu des rues boueuses à cause des fortes pluies. Mais recouvert par leur masque d’aigles, aucun de ses hommes, ni lui ne cessèrent leur progression. Il avait hâte d’arriver et ce n’était pas quelques personnes qui le feraient s’arrêter. Finalement, la colonne de cavaliers arriva enfin au grand palais fortifié de Sawaki ou des hommes en armes les attendaient déjà, ainsi que des proches du chef de clan.

Les cavaliers s’arrêtèrent et Katsu mis pied à terre en prenant soin d’enlever son masque. Le front trempé par la sueur, les cheveux complétement décoiffés, il n’avait rien d’un héritier impérial. Et pourtant c’était ce qu’il était et il ne le savait que trop bien. Attendant que ses hommes aient tous mis pied à terre à leur tour dans une discipline de fer, Katsu se rapprocha du premier cercle de gardes et de gens qui s’étaient amassés tout au tour pour l’apercevoir.

-Je suis Katsutani Tsunahiro, et je souhaite parler à celui qui règne ici pour mon père, dit-il sans que cela ne ressemble à un ordre. Que l’on m’amène à lui !

En plein milieu de la petite foule qui se tenait devant lui, un homme se démarqua du reste en s’avançant vers lui tandis que les autres le saluaient encore. Il semblait un peu plus jeune que lui, mais il paraissait déjà sûr de lui. Il ne le connaissait que de nom puisque les Yasushima avaient jadis combattus pour mettre père sur le trône impérial. De ce fait, cela faisait de lui un allié potentiel dans sa quête de devenir un jour l’empereur de Kyang. Il lui fallait néanmoins savoir s’il pourrait lui faire confiance et pour ça, un long entretien devrait être tenu. Katsu le regarda alors pendant un petit temps avant de continuer à parler. Il chercha à savoir dans son regard si cet homme pouvait être de confiance ou non. Sawaki était réputé pour sa relative neutralité dans l’Empire. les hommes qui y vivaient se tenaient généralement loin de toutes les intrigues de la cour impériale et en ce point ça lui plaisait déjà. Trouver des alliés qui n’étaient pas dans les affaires de l’Empire n’était pas une mince affaire.

Sans sourire, ni sourciller, Katsu resta de marbre et s’approcha lentement du chef de clan prénommé Sukeharu. Lui mettant une main sur l’épaule après que le chef des Yasushima ait ouvert le dialogue, Katsu répondit brièvement.

-Le voyage a été long jusqu’ici, j’accepte votre invitation.

Son ton se raffermit alors progressivement.
 
-Nos deux pères ont combattus ensemble dans le passé, faisons en sorte que leurs liens perdure et que nous soyons comme des frères.

La façon de le dire avait eu l’air solennel et pourtant ce n’était que pure vérité. Seulement en ce moment, il ne valait peut être mieux pas le soutenir lui dans sa quête d’éradication de toutes les élites corrompues. Il lui fallait donc connaître le point de vu de ce jeune chef de clan.

-Ce n’est pas par gaité de cœur que je me dirige vers les portes chaudes. Je les sais très bien gardés par vos hommes et je n’ai aucun doute sur leur défense, seulement, mon père a trouvé juste que j’y fasse un tour… dit-il amèrement. J’aimerais m’entretenir avec vous en privé avant que nous débutions votre festin.

Nul besoin de se le cacher, tout l’Empire devait déjà être au courant de son sort et de l’exil qu’il avait entreprit avec ses quelques aigles qui lui étaient fidèles, du moins, il l’espérait. Néanmoins, il avait l’espoir de pouvoir faire part de ses projets au chef de clan qui lui faisait face et qui l’avait accueilli sans la moindre fausse note protocolaire.

Katsu avait suivi le chef des Yasushima dans une pièce sobre, mais confortable. Cela lui ferait le plus grand bien de s’assoir après la chevauchée qu’il avait fait. Il n’y avait que eux, seulement eux. Ses hommes à lui étaient parti aux écuries et les hommes du chef quant à eux, devaient déjà s’afférer aux préparatifs pour le festin. Sukeharu lui proposa un rafraichissement, chose qu’il accepta en hochant simplement la tête, le regard toujours inexpressif. Il but à grande gorgée en écoutant le chef parler. Celui-ci ne passa pas par quatre chemins pour savoir ce qui l’amenait véritablement ici et à vrai dire, cela plut à Katsu qui n’avait pas pour habitude de tourner autour du pot comme les proches conseillers de son père qui gangrénaient Kyang. Une fois qu’il eut fini de poser sa question, Katsu prit la parole aussitôt sans laisser de blanc s’installer entre eux. Si le chef allait droit au but, alors il en ferait autant.

-Je ne suis que les prémices d’une tempête qui s’annonce seigneur Yasushima. Avant de retourner à Kyang, j’ai longtemps parsemé les terres de mon père dans la quête d’éradiquer un fléau qui ne fait que s’accroître de jour en jour. Mes avertissements n’ont rien changé à l’aveuglement de l’empereur. Pollué par ses conseillers qui ne pensent qu’au pouvoir et à l’argent, mon père en a oublié son peuple. Il posa son verre d’eau en fixant le seigneur devant lui. Si je viens vous voir, c’est pour vous mettre en garde contre la gangrène qui ravage notre Empire. Les fidèles de Kiyozawa ne sont pas tous enterrés, ils se font appeler les « corbeaux » et envahissent petit à petit nos villages et nos villes en plaçant dans les élites leurs membres. A l’heure d’aujourd’hui, je ne saurais vous dire combien ils sont, ni où est-ce qu’ils se trouvent exactement, mais lorsque j’ai ramené la tête d’un des amis de mon père, j’ai eu la certitude que le mal avait envahi toutes nos sphères.

Sans avoir montré un quelconque signe de malaise dans son regard ou dans sa attitude, Katsu paraissait ferme et sûr de lui. Une rage profonde commençait à l’envahir depuis son renvoi de la cour impériale et il n’avait pas encore trouvé de repos.

-M’écarter de Kyang et de mon père était surement un de leurs projets. L’empereur ne fait plus confiance en son sang et je crains que son âge ne le handicape toujours un peu plus. J’ai la ferme intention de ramener Kyang dans le droit chemin et tous ceux qui voudront m’apporter leur aide seront les bienvenus.
 
Katsu se rassit au fond de son siège, la lumière d’un rayon recouvrant peu à peu son visage qui était resté dans l’ombre depuis le début de l’entretien.

-Seigneur Sukeharu, je compte mener une guerre contre ces corbeaux et si je dois passer par Kyang pour cela, je le ferais quitte à en mourir ! En tant qu’héritier de l’Empire, je demande votre aide pour ramener la paix dans nos terres. En échange, Sawaki recevra une place capitale dans le futur de l’Empire, car sachez-le, je ne compte pas m’arrêter là !

Aux premiers mots du seigneur de Sawaki, Katsu devint livide, mais ne fit rien paraître. Ses yeux s’obscurcirent juste un peu et il commença à regretter d’avoir parlé si facilement de son envie de reprendre le trône impériale. En réalité, le trône, il n’en avait cure. La seule chose qui l’intéressait était de débarrasser une bonne fois pour toute Kyang du mal interne qui le rongeait. Il n’en était pas encore à préparer un putsch contre l’empereur son père, mais si les choses s’étaient déroulées comme prévu avec le seigneur Sukeharu, un passage à la capitale aurait été inévitable. Sans qu’il n’ait eu le temps de le voir venir, l’homme en face de lui devint tout d’un coup plus conciliant et pris le même raisonnement que lui. Finalement, Sawaki était et resterait fidèle à la sécurité de l’Empire, du moins, celui qu’il imaginait pour l’avenir. Les nouveaux mots du seigneur lui plut et Katsu afficha aussitôt une mine un peu moins rigide.

Néanmoins, le seigneur qui lui faisait face était un fin tacticien et surtout, un bon politicien et lui demande ainsi des choses en retour. Renforcer les portes chaudes ? Il était évident que lui aussi voulait s’assurer qu’une invasion ne les prennent à revers dans leur quête. Comme son père lui avait demandé, il irait, mais cette fois-ci en compagnie du seigneur de Sawaki afin de bien s’assurer de la solidité des remparts où bien même, rentrer dans les terres sauvages pour s’assurer qu’aucune tribu nomade ne séjournait à proximité de la frontière. Enfin, le Sukeharu aborda le fait qu’il voulait que Sawaki ait une condition particulière. Katsu devint interrogatif et se demanda soudainement si ce seigneur ne voulait pas se faire plus gros que le lion. Peut-être que non, néanmoins, il lui avait demandé d’annoncer son plan et il le ferait, tout en préservant cependant les informations qu’il garderait jusqu’au jour J.

-Vos paroles m’honorent seigneur Yasushima. J’aimerais avoir des hommes de votre trempe à mes côtés durant tout ce que nous allons vivre. Il marqua une courte pause après avoir affiché un bref sourire au coin des lèvres. Vous avez raison, je ne suis pas venu ici sans plan. Si je ne l’avais pas fait, je ne serais surement pas digne de porter le titre d’héritier impérial prêt à tout pour sauver l’Empire. Voyez-vous, il serait mal avisé de lever une armée pour marcher sur Kyang. Cela n’est pas mon but et ne doit pas l’être. Non, nous devons agir comme nos ennemis qui se cachent dans l’ombre. Car Sawaki seule ne pourra rivaliser contre l’armée de mon père, celle de son frère et celle de tous ses alliés. Cela ne ferait qu’isoler Sawaki et nous nous retrouverions instantanément comme des conjurés par ceux même qui comptent tuer mon père.

Katsu se leva et partit rejoindre la petite fenêtre ou s’était placé le seigneur peu de temps avant lui. Regardant l’horizon lointain avec son soleil couchant sur les longues étendues verdoyantes de Sawaki. Katsu reprit enfin la parole.

-Mon seigneur, s’il nous faut débarrasser Kyang du mal qui le ronge, nous devons faire de notre mieux pour connaître notre ennemi du mieux possible. Pour cette raison, vous devez les intégrer et me bannir à votre tour. Les mots résonnèrent comme des lames tranchantes incompréhensibles, Katsu se retourna alors vers le seigneur. Vous devez faire savoir au monde que je suis votre ennemi et peut être qu’ainsi, les corbeaux vous trouveront assez digne de confiance pour vous approcher !

Le plan était audacieux, mais cela n’était qu’une seule petite partie du plan global qu’il avait imaginé. Des corbeaux devaient déjà sans doute se trouver en Sawaki, le suivant à la trace pour analyser ses moindres faits et gestes. Mais à présent que Sukeharu était averti, il en profiterait pour reprendre l’initiative tout en faisant semblant d’ignorer complétement la menace qui pesait.

-Seigneur, sachez que je le comprendrais parfaitement si vous déclinez cette proposition. Elle est périlleuse j’en suis conscient, mais nos pères nous apprit à faire la guerre, et celle-ci n’est pas toujours totale. Il faut pouvoir s’adapter, apprivoiser et devenir encore plus fourbe que notre ennemi qui est une armée dispersée aux quatre coins de l’Empire et qu’il nous serait impossible d’affronter en combat singulier. Comprenez-vous ?

Katsu partit se rasseoir et but une petite gorgée d’eau.

-Vous parliez d’aller aux portes chaudes, cela tombe bien, j’y vais aussi. Seriez-vous partant pour une petite mission de reconnaissance hors de nos frontières ? Nous pourrons toujours dire que vous vous êtes assuré de ma bonne arrivée en ces terres frontalières.

Il laissa alors échapper un petit rire.

-A présent, j'aimerais savoir si votre saké est si bon qu'on le dit dans tout l'Empire !